Les étiquettes de vins, reflet des domaines viticoles, sont primordiales pour inciter à l’achat. Les graphistes ont des règles précises pour les réaliser même si certains, pour raisons commerciales ou militantes, décident de s’en affranchir au profit de créations plus originales.
Que se passe-t-il dans la tête d’un consommateur de vin lorsqu’il choisit sa bouteille chez le caviste ou en grande distribution ? À en croire les professionnels du marketing, il base une partie de son choix sur l’étiquette. Emmanuelle Rouzet, autrice, avec Jean Alfred Gérard-Séguin, de l’ouvrage Marketing du Vin, savoir vendre le vin, affirme que 15% de la vente d’une bouteille repose en effet sur le « packaging » c’est-à-dire le conditionnement et l’emballage de la bouteille. « On se trompe en disant que ce n’est basé que sur l’étiquette, la forme de la bouteille et sa couleur sont tout aussi importantes », tient-elle à préciser. En 2016, une étude Wine.net publiée sur Vice Munchies, a montré que sur 2000 buveurs de vins à qui l’on a demandé de choisir entre trois bouteilles de rouge et trois de blanc, 80% d’entre eux ont déclaré avoir choisi le vin selon l’étiquette.
Ce petit papier déposé sur les bouteilles n’est donc pas anodin et revêt une grande importance pour inciter à l’achat. Le consommateur, lui, s’y réfère pour réaliser un choix éclairé. Emmanuelle Rouzet, regrette d’ailleurs que les étiquettes ne donnent pas assez d’indications aux clients : « En moyenne, une personne passe 1mn 10, 1mn 20 dans un rayon de vins, contre 20 secondes dans un autre rayon. Mais ce n’est pas parce que les gens sont plus intéressés par le vin, c’est parce qu’ils n’y comprennent rien. Malheureusement les étiquettes sont faites en fonction des vignerons et pas non du consommateur. » Elle pointe une faille de la loi, qui n’oblige pas les grandes surfaces à indiquer la composition, le mode d’utilisation et de conservation des produits du terroir et des vins.
L’étiquetage des bouteilles de vins doit fournir obligatoirement la catégorie du vin, le nom et l’adresse de l’embouteilleur, sa contenance, degré d’alcool, la présence de sulfites, le numéro de lot, la provenance et la teneur en sucres. © Pixabay
Des règles graphiques
Le graphisme des étiquettes de vins en France a un vieil héritage culturel, lié aux particularités des terroirs. Les Bourgogne et Bordeaux jouent ainsi sur la tradition avec des éléments précis tels que le blason, le château ou les filigranes dorés. La typographie est le plus souvent Sérif ou Time, pour donner un caractère ancien aux vins. Les normes concernent aussi les couleurs : un rouge arbore le plus souvent une étiquette sombre contrairement aux blancs qui les ont plus claires.
Certaines maisons ont toutefois décidé de s’affranchir, voire de jouer avec ces règles. Depuis 1924, le château Mouton Rothschild, orne ses bouteilles d’étiquettes réalisées par des artistes de renoms tels que Picasso, Dali, Andy Warhol ou Kandinsky. Chez les vignerons plus modernes, la tendance est également aux étiquettes plus aérées et aux typographies contemporaines. Gilles Pierre, graphiste designer indépendant, explique la démarche de ces anticonformistes du vin : “Si les vignerons veulent se démarquer, on peut insister sur le graphisme et donc mettre les mentions légales sur la contre-étiquette, réfléchir à la qualité du papier, aux effets avec du gaufrage, vernis ou de la sérigraphie par exemple.”
Pour cet artiste peintre, les demandes vont être plus ou moins singulières en fonction du lieu où seront vendues les bouteilles : “Dans les cafés, hôtels et restaurants, je propose des choses originales. Quand c’est en grande distribution, là c’est différent… Sauf si la personne est connue pour des vins avec un graphisme décalé, mais ça n’est pas fréquent.”
Gilles Pierre, artiste peintre, affirme proposer rarement des œuvres originales à ses clients. © Gilles Pierre, étiquette réalisée pour le domaine Joy de la famille Gessler.
Elizabeth Rouzet, elle, voit plus d’originalité dans les vins destinés à l’export. « Il y a eu un changement dans les années 2000, avec par exemple les Fun Wines qui se destinent à des consommateurs américains, qui vivent à l’européenne. Ils arrivent à se moquer d’eux en achetant du vin. » Le mouvement des Fun Wines, inspiré de la culture de Miami, cherche à “casser les codes de la mentalité traditionnelle du vin” car le “vin devrait être fun et pas compliqué”, soutiennent ses prescripteurs sur leur site internet.
La créativité dans le vin nature
Les vins nature n’innovent pas jusque-là mais c’est sur ces bouteilles que la créativité se fait le plus voir. Laurence Chéné, illustratrice depuis dix-sept ans, en a fait sa marque de fabrique puisqu’elle ne travaille qu’avec des vignerons de ce milieu. “C’est un choix affectif qui croise ma façon de travailler, de consommer, de penser l’économie, raconte celle cette femme originaire d’une famille rurale. J’ai vu ce que l’agriculture faisait dans les années 80. La production du Muscadet, dans ma région, a été un carnage.”
C’est bien plus tard qu’elle a découvert le mouvement des vins nature, au fil de rencontres marquantes avec l’illustrateur Michel Tolmer ou encore à la lecture de la bande dessinée Les Ignorants, illustrée par Étienne Davodeau. “J’ai goûté le travail de gens qui avaient un geste artisanal, qui mettaient en avant certains cépages et travaillaient avec soin et délicatesse sur le rendu de leurs vins”, se souvient-elle. Ses dessins, aux traits fins et au design épuré, sont souvent politiques. Elle a ainsi dessiné la couverture du Manifeste pour le vin naturel, rédigé par le journaliste Antonin Iommi-Amunategui.
Laurence Chéné réalise également des affiches pour des festivals de vin nature, comme celui-ci organisé en 2019 à La Bellevilloise. © Laurence Chéné
Dans le vin nature, les informations légales et l’appellation s’effacent au profit d’un message plus personnel, proche du vigneron ou de la vigneronne qui réalise le vin. Pour certains, tels que le domaine Ostertag (Alsace) qui travaille entièrement en biodynamie, les étiquettes sont imprégnés d’écologie. Sur son Riesling, cuvée 2018, un arbre découle d’un soleil, ses branches sont immenses, et ses créateurs d’expliquer sur leur site internet leur philosophie : “l’esprit du vin circule inlassablement et se répand en flux circulaire (…), d’ici à ailleurs, d’orient en occident, au bout des mers, de l’autre côté des nuits, là où les saisons se confondent, au coeur de villes sans arbres, au coeur des hommes déracinés, entre mur et poussière”.
Ces nouvelles façons de parler au consommateur ne sont pas le propre du vin nature selon la consultante en marketing Emmanuelle Rouzet. “Les vins conventionnels s’adaptent aussi par un travail sur la qualité de vin, avec un packaging amélioré, avec des noms et des formes, des prix et communications adaptées”. Le Rosé Piscine, destiné à être bu avec des glaçons, a ainsi été un gros coup de com’ du domaine de Vinovalie. “Il s’adresse à une clientèle précise, des personnes vivant en appartement et qui rêvent d’été, de boire leur rosé dans la piscine. Ça a très bien marché”, note-t-elle. Le monde du vin innove, ses étiquettes s’en ressentent, mais ne parlent pas toujours le même langage.
L’œnographilie, l’étiquette pour passion
Chaque année, plus d’une centaine de collectionneurs se réunit à l’occasion d’un congrès organisé par l’Association Nationale D’Oenographilie. Présidée par Rémi Ritoux, l’organisation a pour but de “promouvoir et défendre le vin, les spiritueux et la bière”. “Ça permet de faire connaître la géographie des terroirs, les arômes”, détaille cet ancien viticulteur.
Ce passionné a ses propres règles en matière de collection. Les étiquettes sont classées dans des albums, selon chaque région et AOC. Il livre volontiers ses astuces pour arriver à les extraire de la bouteille : faire tremper la bouteille sous une eau chaude pour les étiquettes collées, et pour les adhésives, il suffit de la placer au four à 100°C pendant 4 minutes ou alors “d’utiliser un décapeur thermique”.
Ce retraité dit être épris par les peintures sur les étiquettes et suit de près le travail en vin nature. “Il y a de belles étiquettes dans ce domaine. Le vigneron essaie vraiment d’avoir une étiquette qui correspond aux vins qu’il fait. J’ai acheté récemment un vin qui s’appelle Groseille, et y trouvé cet arôme là”, se réjouit-il. Très simplement.
Emma Chevaillier
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